Guy Debord

Guy Debord est un écrivain, poète, essayiste, cinéaste et révolutionnaire français, qui a conceptualisé ce qu'il a nommé le «spectacle» dans son œuvre majeure La Société du spectacle.



Catégories :

Écrivain français du XXe siècle - Philosophe du XXe siècle - Philosophe politique - Réalisateur français - Situationniste - Courant d'inspiration marxiste - Marxisme - Essayiste français - Jeu de guerre - Personnalité de l'extrême gauche française - Personnalité de Socialisme ou barbarie - Cinéma expérimental - Traducteur français - Essayiste ou théoricien marxiste - Auteur de jeux de société - Suicide par balle - Naissance à Paris - Naissance en 1931 - Décès en 1994

Guy Debord
Nom de naissance Guy-Ernest Debord
Naissance 28 décembre 1931
Paris, France
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Décès 30 novembre 1994 (à 62 ans)
Champot, Bellevue-la-Montagne, France
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Nationalité Français

Guy Debord (1931-1994) est un écrivain, poète[1], essayiste, cinéaste et révolutionnaire français, qui a conceptualisé[2] ce qu'il a nommé le «spectacle» dans son œuvre majeure La Société du spectacle (1967).

Il a été l'un des fondateurs de l'Internationale lettriste puis de l'Internationale situationniste (IS), dont il a dirigé les revues.

Biographie

Jeunesse et contexte historique et culturel

Très tôt, Guy Debord perd son père. Le mouvement populaire est amené dans l'impasse de la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu'à ses 17 ans, l'ensemble des événements fondateurs de ce qu'il appellera La société du spectacle sont en place : la généralisation de la technique, l'espionnage généralisé, les camps, Hiroshima/Nagasaki, la collaboration de classe du PCF avec la bourgeoisie, l'affrontement «spectaculaire» Est/Ouest , et en particulier la reconstruction à crédit de l'Europe. L'échec du «dernier grand assaut du mouvement révolutionnaire prolétarien»[3] est dans son paysage.

1951/1952 : selon les propres mots de Debord, «jamais… le champ de bataille n'avait été aussi vide»[4]. Au milieu de ce "désert" cependant la vie intellectuelle se poursuit. Du côté des défenseurs de l'ordre existant, les gaullistes bien sûr : Aron, Mauriac, Malraux, mais également tous ceux qui gravitaient autour du PCF : Aragon, Sartre, Picasso. Au cours de cette période le parti stalinien aimantait toujours nombre d'artistes, d'écrivains et d'intellectuels.

D'autres, cependant, refusaient ce partage. André Breton, Benjamin Péret, Jean Malaquais s'étaient rapprochés des mouvements libertaires ou du communisme de gauche antistalinien après avoir fréquemment flirté avec les thèses de Trotsky, fidèles toujours aux idéaux de la Révolution d'octobre plutôt qu'à l'URSS ainsi qu'à ses dirigeants.

Des électrons «libres» comme Boris Vian, Jacques Prévert, participaient du paysage intellectuel de ces années-là. Georges Bataille achevait son œuvre. Maximilien Rubel de son côté arrachait l'œuvre de Marx des dogmatismes léninistes, alors que les membres de Socialisme ou Barbarie (Claude Lefort, Cornelius Castoriadis surtout), et quelques autres tentaient une ouverture, dans une période dominée par la pensée stalinienne et bourgeoise. C'est à ce moment que commencent à se développer plus largementles analyses critiques sur l'URSS et les «démocraties populaires» (les régimes bureaucratiques-totalitaires dit «communistes»), après le célèbre Staline[5] de Boris Souvarine (1935), et les analyses d'Ante Ciliga, Victor Serge, ou Anton Pannekœk contre le capitalisme d'État.

Le mouvement lettriste

La projection du film Traité de bave et d'éternité d'Isidore Isou au festival de Cannes (avril 1951) ouvre à Debord le champ de création qu'est le cinéma et marque le début de sa brève participation au mouvement lettriste, participation qui prendra fin en novembre 1952 suite à un autre scandale, le «scandale Chaplin»[6]. Hurlements en faveur de Sade (visuellement proche du film L'Anticoncept de Gil J. Wolman) , est à comprendre comme, «mise en scène du scandale de l'abscence pour appeler à une présence désirée»[7]. Debord a vingt ans. Son scandale [Quoi ?] posera la limite, le point de départ, dans la suite qui l'amènera à la création de l'I. S.

Le mouvement va de la création de l'Internationale lettriste, 1952-1954 à la revue Potlach. Le programme de Potlach annonce : «nous travaillons à l'établissement conscient et collectif d'une nouvelle civilisation»[8]. Les Lèvres Nues, 1954-1957 où Debord déclare : «ENTRE les divers procédés "situationnistes", la dérive se présente comme une technique du passage hâtif à travers des ambiances variées. Le concept de dérive est indissolublement lié à la reconnaissance d'effets de nature psychogéographique, ainsi qu'à l'affirmation d'un comportement ludique-constructif, ce qui l'oppose en tous points aux notions classiques de voyage et de promenade.»[9] C'est dans cette même revue, en 1956, que Debord et Wolman publient un texte essentiel : Mode d'emploi du détournement.

Une bonne partie de l'avant-garde lettriste finit par ne pas suivre Debord dans ce qu'elle considère comme une déviation politique.

Les débuts de l'Internationale situationniste

1957 est pour Debord année décisive où à Albissola en Italie est jetée la base d'une nouvelle avant-garde qu'il définit dans une de ses correspondances[10] comme le mouvement qui a dominé le passé et qui à tout moment dans sa pratique comme dans sa théorie pratique domine le présent.

En 1960, il signe le Manifeste des 121 contre la guerre d'Algérie.

La nouveauté n'est pas la dénonciation du capitalisme ou de l'aliénation, mais bien la critique radicale tant dans la forme que dans le contenu du dispositif marchand qui aliène les individus dans leur vie quotidienne. L'avenir n'est pas reconnu comme situationniste, et c'est ce qui fonde la nouveauté de cette avant-garde. La dérive, la création de situations ludiques, etc., sont proposées par Debord dans le premier texte fondateur de cette nouvelle avant-garde : «rapport sur la construction de situations et sur les conditions de l'organisation et de l'action de la tendance situationniste internationale»[11].

Le mouvement s'accélère dans la critique, qui s'occupe de moins en moins de la mort de l'art pour s'attaquer aux conditions favorables à une révolution sociale. Les situationnistes se déclarent les continuateurs de la Commune de 1871[12].

Les années de réalisation. Mai 68

Directeur de la revue Internationale Situationniste, Debord l'anime avec le renfort de Raoul Vaneigem. Leur collaboration entraîne l'éviction des «artistes» et débouche sur «les thèses de Hambourg»[13] ; thèses qui se résument à la dernière de Marx sur Feuerbach : il faut réaliser la philosophie. Le résultat principal est la sortie coup sur coup de deux livres : La Société du spectacle[14] de Debord, (publié le 14 novembre 1967 originellement chez Buchet/Chastel) et Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations[15] de Raoul Vaneigem (publié le 30 novembre 1967 chez Gallimard). Si le livre de Vaneigem est circonstanciel, celui de Debord est plus théorique étant donné qu'il repose sur la pensée et les œuvres de Georg Lukács, Karl Korsch, et en particulier Marx et Hegel. Debord articule l'aliénation «nécessaire» d'Hegel avec ce que Marx nomme «le caractère fétiche de la marchandise» en se basant sur le travail de Luckács dans Histoire et Conscience de Classe, qui pose le sujet aliéné, la conscience de classe aliénée. À cette base économique de l'aliénation, il adjoint l'image de la marchandise médiatisée à outrance par la publicité qui vient des États-Unis (voir surtout le livre de Daniel J. Boorstin[16])  : «Nous n'allons pas mettre l'image à l'épreuve de la réalité, mais mettre la réalité à l'épreuve de l'image». Debord en recommande la lecture autour de lui. Debord fait le lien que Boorstin et d'autres voient comme Orwell dans Un peu d'Air Frais avec le grand supermarché et la fin d'un monde, celui du capitalisme de chemin de fer, et l'avènement de la société dite du «spectacle». Sur les deux versants : «spectacle diffus» de la société capitaliste à l'ouest , et «spectacle concentré» du capitalisme d'État des «démocraties populaires», il ne voit qu'une société spectaculaire-marchande qu'il faut abattre.

Le 22 novembre 1966 est publiée à Strasbourg une brochure anonyme (on sait actuellement qu'elle a été essentiellement rédigée par Mustapha Khayati), De la misère en milieu étudiant. Pascal Dumontier le considère comme un évènement indissociable des évènements de mai 1968 dans son ouvrage Les Situationnistes et mai 1968, théorie et pratique de la révolution (1966-1972) (Éditions Gérard Lebovici, 1990). L'affaire fait scandale dès sa distribution, et pendant l'année 1967, le journal le Monde publie un article «L'Internationale situationniste prend le pouvoir chez les étudiants de Strasbourg», (26 novembre 1966). Lorsque arrive le 22 mars 1968 à Nanterre, c'est tout naturellement que les étudiants trouvent l'IS à leur côté. Sa revue a déjà une grande renommée malgré des ventes en kiosque assez faibles de 400 exemplaires en moyenne (l'essentiel du tirage est envoyé aux abonnés, ou diffusé gratuitement par l'IS). Pour Debord, Mai 68 est l'aboutissement logique de l'IS. En 1969, le dernier numéro de la revue s'ouvre par : «Le commencement d'une époque». Dans La Véritable Scission dans l'internationale (Champ Libre, 1972), il règle ses comptes avec tout ceux qui veulent profiter de l'aura de l'IS, et avance qu'une avant-garde doit savoir mourir lorsqu'elle a fait son temps. Vaneigem est particulièrement critiqué dans ce livre comme «tendance droitière» au sein de l'IS. Les «thèses de Hambourg» sont explicitées pour la première fois dans ce livre, «pour servir à l'histoire de l'IS».

Après l'IS

Parallèlement, il continue sa création cinématographique, avec Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps (1959)  ; «Critique de la séparation (1961). Dans ces deux films, il fait un état des lieux de la vie aliénée, scindée par le quotidien marchand où chacun doit perdre sa vie pour rencontrer les autres dans le monde scindé de la marchandise.

Il noue une amitié avec Gérard Lebovici, et il fait coup sur coup deux films : l'adaptation de son ouvrage La Société du Spectacle (1973), puis Réfutation de l'ensemble des jugements, tant élogieux qu'hostiles, qui ont été jusqu'ici portés sur le film «La Société du Spectacle» (1975). Mais c'est avec son film In girum imus nocte et consumimur igni (1978), un palindrome latin signifiant «Nous tournons en rond dans la nuit et nous serons dévorés par le feu», qu'il arrive à pleine maturité.

Debord, à partir de 1972, a une influence de plus en plus grande sur Champ libre, la maison d'édition de Gérard Lebovici qui l'édite. Debord y fait publier des ouvrages qu'il estime importants (Gracián, Clausewitz, August von Cieszkowski[17], Anacharsis Cloots, Bruno Rizzi[18], Jorge Manrique et bien d'autres) et il joue un grand rôle dans la nouvelle ligne éditoriale de cet éditeur atypique[19].

À la suite de l'assassinat – non élucidé à ce jour – de son ami et producteur de cinéma Gérard Lebovici en 1984, il est mis en cause et beaucoup accusé par la presse. Il intente des procès en diffamation contre quelques titres et les gagne[20]. Il revient au cours de cette période et ces événements dans Considérations sur l'assassinat de Gérard Lebovici[21]. Dans ce livre, il renvoie dos à dos ceux qui le calomnient et ceux qui le défendent, affichant «un si juste mépris» pour tous ceux qui participent avec un dispositif qu'il a condamné dans sa totalité : «la bassesse ne se divise pas». En hommage à son ami, il décide d'interdire la diffusion de ses films en France jusqu'à sa mort.

En 1988, les Commentaires sur la société du spectacle[22] (inspirés surtout par la situation en France et l'observation de la situation politique de l'Italie des années soixante-dix (cf. Gianfranco Sanguinetti) ) notent la convergence – récente à l'époque – entre les deux variantes d'organisation du capital, de la société du spectacle, vers le stade du spectaculaire intégré. Il montre que c'est en France et en Italie que le spectaculaire est le plus avancé. Le mensonge, la corruption et le poids des services secrets et autres officines caractérisent les derniers développements au stade du spectaculaire intégré. Dans la Préface à la quatrième édition italienne de «La Société du Spectacle» [23], il revient sur l'activité des Brigades Rouges et leurs liens avec les services italiens, et comment Andreotti, la Loge P2 et des officines ont conduit à l'élimination d'Aldo Moro, hypothèse étayée actuellement par différents travaux et témoignages.

En 1988 une brève polémique privée l'opposa à Jean-Pierre Baudet au sujet de l'œuvre de Günther Anders dont certaines analyses pouvaient sembler annoncer ou anticiper celles de Debord[24]

Pour montrer par l'exemple qu'une autre vie est envisageable, il s'attache aussi à décrire son expérience personnelle dans Panégyrique tomes un et deux dans un style qui a quelquefois été comparé à celui du Cardinal de Retz ou de La Rochefoucauld même si lui-même récusait cette comparaison[25] car il lui arrivait quelquefois de réutiliser ou détourner des tournures ou formules tirées des textes de ces auteurs[26]. Cette technique de détournement des citations avait été initiée par Isidore Ducasse. Debord confie au philosophe italien Giorgio Agamben qu'il n'est pas un philosophe mais un stratège.

Atteint de polynévrite alcoolique, Debord s'est suicidé le 30 novembre 1994.

En janvier 2009, l'État français a décidé de classer la totalité de ses archives au patrimoine national dans un arrêté s'opposant à leur acquisition par l'Université Yale. Cet arrêté précise que ces archives revêtent «une grande importance pour l'histoire des idées de la seconde moitié du XXe siècle et la connaissance du travail toujours controversé de l'un des derniers grands intellectuels de cette période» (journal officiel de la République française du 12 février 2009) [27].

Pensée

Anselm Jappe, dans un essai remarqué sur Guy Debord[28], montre que «la compréhension des théories de Debord nécessite avant tout qu'on fixe sa place parmi les théories marxistes»[29]. En effet, à la suite aussi les influences de Henri Lefebvre, Joseph Gabel ou de Socialisme ou Barbarie, dès le chapitre deux de La Société du spectacle, Debord s'appuie sur les théories de Karl Marx pour construire sa théorie du Spectacle et parmi les penseurs marxistes, Georg Lukács compte parmi ceux qui ont eu une influence décisive sur ses rédigés théoriques. Pour Jappe il faut par conséquent rattacher la théorie du Spectacle à la question de l'analyse de la marchandise, de la valeur et du fétichisme de la marchandise, car Debord s'appuie sur celle-ci pour élaborer son concept critique de spectacle. En recentrant la théorie de Debord sur son rapport à Marx, Jappe montre aussi que le spectacle ne peut pas être réduit à une logique immanente à «l'image» en elle-même comme le pensent certains interprètes, car ce dont veut rendre compte le concept critique de spectacle c'est que «le capital n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social médiatisé par des images» (thèse 4 de La Société du spectacle). Debord ne traite par conséquent pas du «Spectacle» de manière transhistorique mais en fait une caractéristique principale de la société contemporaine. Il ne s'inscrit par conséquent pas dans la continuité des «philosophies de l'image» précédentes et il n'y a aucune haine de l'image chez Debord, comme le montre son œuvre cinématographique. En montrant que Debord s'appuie au contraire sur l'interprétation que Lukács fait de la pensée de Marx à travers son indentification du «problème de la marchandise (... ) comme le problème central, structurel, de la société capitaliste dans toutes ses manifestations vitales»[30], Anselm Jappe rédigé que «Le problème n'est pas seulement l'infidèlité de l'image comparé à ce qu'elle représente, mais l'état même de la réalité qui doit être représentée», Jappe reconnaissant dans le premier cas «une conception superficelle du fétichisme de la marchandise qui n'y voit qu'une fausse représentation de la réalité»[31]. Et d'ajouter que «ce que Debord critique n'est par conséquent pas l'image comme telle, mais la forme image comme développement de la forme-valeur»[32], cette forme-valeur, étant elle-même issue de la victoire de la valeur d'échange sur la valeur d'usage («[Claude Lefort] impute faussement à Debord d'avoir dit que «la production de la fantasmagorie commande celle des marchandises», au lieu du contraire - ce contraire qui est une évidence clairement énoncée dans La Société du Spectacle, surtout dans le deuxième chapitre ; le spectacle n'étant défini que comme un moment du développement de la production de la marchandise») [33]. Le terme générique de spectacle choisi par Debord sert à désigner ainsi le phénomène totalisant par lequel cette forme-valeur et cette forme image impriment leurs marques sur la totalité du corps social, la «distorsion intervenant de la part de l'homme dans la production même de son monde»[34], phénomène qu'Alfred Sohn-Rethel avait désigné, dans ses prémisses, sous le terme d'«abstraction réelle»[35] mais dont on pouvait trouver déjà le concept chez Marx en ces termes : «ceux qui considèrent l'autonomisation de la valeur comme simple abstraction oublient que le mouvement du capital industriel est cette abstraction en actes»[36]. Debord peut ainsi écrire : «Les faits idéologiques n'ont jamais été de simples chimères, mais la conscience déformée des réalités, et comme tels des facteurs réels exerçant en retour une réelle action déformante ; d'autant plus la matérialisation de l'idéologie qu'entraîne la réussite concrète de la production autonomisée, dans la forme du spectacle, confond quasiment avec la réalité sociale une idéologie qui a pu retailler tout le réel sur son modèle.»[37] Dans ce contexte d'un «monde réellement renversé» où «le vrai est un moment du faux», Debord rejoint par là certaines conclusions de Günther Anders dans «l'obsolescence de l'homme » (1956) lorsqu'il annonce que «l'histoire des idéologies est finie»[38] : Le «Tout est moins vrai que la somme des vérités de ses parties ou, pour retourner la célèbre phrase de Hegel : «Le Tout est le mensonge, seul le Tout est le mensonge.  »  La tâche de ceux qui nous livrent l'image du monde consiste ainsi à confectionner à notre intention un Tout mensonger à partir de multiples vérités partielles.»[39] ; «Notre monde actuel est «postidéologique» : il n'a plus besoin d'idéologie. Ce qui veut dire qu'il est inutile d'arranger après coup de fausses visions du monde, des visions qui changent du monde, des idéologies, puisque le cours du monde lui-même est déjà un spectacle arrangé. Mentir devient superflu lorsque le mensonge est devenu vrai. [40] Néenmoins Anselm Jappe comme Gérard Briche et plus largementles théoriciens de la critique de la valeur (Krisis), considèrent que Debord n'est pas allé au bout du chemin. Pour ces auteurs, on peut ainsi lui reprocher qu'il reste toujours dans le marxisme respectant les traditions lorsqu'il ne se déprend pas de la solidarité prolétarienne avec la classe ouvrière (éloge du conseillisme surtout), ou encore que l'ambiguïté du statut de réalité du concept de spectacle, permet la possibilité d'une compréhension parfaitisante du fétichisme (mais le concept de spectacle ne théorise pas quelque chose qui serait comme une manipulation mentale, car ce concept n'informe pas une théorie de la communication moderne ou une théorie du dévoiement publicitaire de la politique). Sur le premier point, comme le remarque le philosophe Gérard Briche suite à Jappe, à l'inverse de ce que pensait Debord, l'analyse de la marchandise débouche plutôt sur l'idée que «bourgeois et prolétaires ne sont que des agents de fonction du cycle de la valorisation. Et on touche là à l'équivoque de la critique situationniste de la marchandise et de la notion de spectacle. Une équivoque que l'Internationale partage d'ailleurs avec la totalité du marxisme respectant les traditions, y compris dans ses courants hétérodoxes» [41]. Le slogan situationniste «Ne travaillez jamais !» rédigé par Debord en 1953 sur un mur rue de la Seine à Paris, a aussi uniquement été développé dans une vision romantique (et certains textes de l'IS adhèrent en même temps à l'utopie libératrice de l'automatisme technologique), en sous-estimant la critique radicale du travail abstrait qu'il y a dans la théorie. C'est à ce débat sur les limites de Debord au regard de la critique de la valeur, que renvoie le dernier chapitre du livre de Jappe, " Passé et présent d'une théorie ". Debord a été aussi fortement influencé par les théories sur Le Soulèvement de la Jeunesse (1949) d'Isidore Isou qu'il a fréquenté au début des années 1950. Dans L'Avant-garde intolérable. Réflexions sur Guy Debord, Anselm Jappe revient de manière critique sur l'idée que la pensée de Debord serait en cours de «récupération» et de «dissolution» – via la vulgarisation du concept de «spectacle» dans les médias –, en montrant les mésinterprétations courantes du concept de «spectacle» (comme dénaturation de la politique, essor de la publicité, etc. ). Restée toujours beaucoup incomprise malgré sa relative médiatisation, la pensée de Debord en resterait selon lui d'autant plus subversive.

Frédéric Schiffter, dans un pamphlet intitulé Contre Debord, fustige dans la théorie du Spectacle une resucée de Jean-Jacques Rousseau et de Platon, et d'une façon plus générale dans les rédigés de Debord une posture moralisatrice non dénuée de présupposés métaphysiques à ses yeux rebattus : «la notion de spectacle suggère que l'"essence" de l'homme s'est perdue dans le flux du temps depuis l'avènement du mode de production et d'échange marchand. Selon Debord, cette essence se serait "éloignée dans une représentation". Quelle est-elle au juste ? Debord se garda bien d'en donner la moindre définition [... ]»[42].

Guy Scarpetta dans un article du Monde diplomatique estime : «Situation paradoxale que celle de Guy Debord, dans le panorama intellectuel français ; d'un côté, n'importe qui le cite, fait référence à lui, jusqu'aux agents même du spectacle dont il aura été toute sa vie l'adversaire ; d'un autre côté, on ne peut qu'être frappé de l'étrange discrétion de la presse devant la parution en volume de la totalité de ses œuvres[43]

Le philosophe Giorgio Agamben rédigé en 1990 : «L'aspect probablement le plus inquiétant des ouvrages de Debord tient à l'acharnement avec lequel l'histoire semble s'être appliquée à confirmer ses analyses. Non seulement, vingt ans après La Société du spectacle, les Commentaires sur la société du spectacle (1988) ont pu enregistrer dans l'ensemble des domaines l'exactitude des diagnostics et des prévisions, mais entre-temps, le cours des événements s'est accéléré partout si uniformément dans la même direction, qu'à deux ans à peine de la sortie du livre, il semble que la politique mondiale ne soit plus actuellement qu'une mise en scène parodique du scénario que ce dernier contenait[44]

L'Internationale situationniste

Article détaillé : Internationale situationniste.

Issue d'une jonction entre les lettristes les plus virulents et des membres du groupe Bauhaus Imaginiste de Asger Jorn, l'Internationale Situationniste est créée en 1957 à Albisola en Italie. 1958 Rapport sur la construction des situations. Les situationnistes critiquent à la fois la société spectaculaire-marchande à l'ouest et le capitalisme d'État à l'est . Proche quelque temps de Socialisme ou barbarie, groupe auquel participe Debord en 1960-61, et du philosophe marxiste Henri Lefebvre, ils deviennent nettement plus critiques et leur action ne cesse pas de s'intensifier au cours des années soixante, (quoique leur nombre dépasse rarement la douzaine). Ils prônent l'instauration de conseils ouvriers et jouent un rôle clef dans la révolte de Mai 68 en participant aux combats et en s'associant aux Enragés pour occuper la Sorbonne et répandre le mouvement de grève dans les usines dans la journée décisive du 15 mai 1968[45]. Après cet incontestable succès (10 millions de grévistes "sauvages" dans toute la France), mais vite brisé par l'incapacité des éléments les plus radicaux à influer plus avant sur le mouvement ouvrier bien encadré, après un léger flottement, par ses syndicats attachés, quant à eux et comme toujours, à sauvegarder la majeure partie du régime en place (accords de Grenelle, dissolution des groupes d'extrême gauche), les situationnistes se réfugient en Belgique d'où ils donnent le texte Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations. Debord refusa de prendre un rôle de chef et prit soin de mettre fin à l'I. S. au moment ou elle se trouvait envahie de "révolutionnaires" passifs et parfaitistes qu'ils appela ironiquement les "pro-situ". Il en profita pour expliquer particulièrement clairement l'obligation impérieuse de ce sabordage dans un texte capital pour comprendre les particularités des situationnistes : La Véritable scission dans l'Internationale Situationniste, édité en 1972.

Le Jeu de la Guerre

En 1965, Guy Debord dépose le brevet d'un Jeu de la Guerre (dit toujours Kriegspiel) qu'il avait imaginé dix ans plus tôt. En 1977, il s'associe à Gérard Lebovici pour fonder une société appelée «Les Jeux stratégiques et historiques» dont l'objet est la production et la publication de jeux. Quelques exemplaires en cuivre argenté du Jeu de la Guerre seront réalisés par un artisan et une Règle du «Jeu de la Guerre» est publiée en français et en anglais. En 1987, paraît le livre Le Jeu de la Guerre (éd. Gérard Lebovici, puis Gallimard en 2006) présenté sous forme d'un «relevé des positions successives de l'ensemble des forces au cours d'une partie». Un modèle rudimentaire du jeu avait été diffusé dans le même temps. Ce jeu est basé sur les lois établies par la théorie de la guerre de Clausewitz et a par conséquent pour modèle historique la guerre classique du dix-huitième siècle, prolongé par les guerres de la Révolution et de l'Empire[46]. Une adaptation informatique du jeu est apparue sur internet en 2008[47].

Œuvres

Écrits
Œuvres en collaboration
Correspondance
Textes traduits par Guy Debord
Films

Films en ligne : Films de Guy Debord

Jeux
Chansons
Textes en ligne

À noter qu'on peut retrouver de nombreux textes situationnistes ici :

Annexes

Bibliographie


Œuvres romanesques où Debord est évoqué

Liens externes

Notes et références

  1. «Il ne s'agit pas de mettre la poésie au service de la révolution, mais bien de mettre la révolution au service de la poésie». Internationale Situationniste n°8, janvier 1963, ALL THE KING ´ S MEN
  2. Dans sa Préface de 1979 à la quatrième édition italienne de La Société du spectacle (http ://www. chez. com/debordiana/francais/preface. htm), Guy Debord écrivait : «Probablement, une théorie générale calculée pour cette fin (ébranler réellement une société établie) doit-elle d´abord éviter d´apparaître comme une théorie visiblement fausse; et par conséquent ne doit pas s´exposer au risque d´être contredite ensuite des faits. Mais il faut aussi qu´elle soit une théorie idéalement intolérable. Il faut par conséquent qu´elle puisse déclarer mauvais, à la stupéfaction indignée de tous ceux qui le trouvent bon, le centre même du monde existant en en ayant découvert la nature exacte. La théorie du spectacle répond à ces deux exigences».
  3. La société du spectacle, chapitre VIII, Thèse 191.
  4. Préface à la quatrième édition italienne de «La Société du Spectacle» :"Ce dépassement de l'art, c'est le «passage au nord-ouest» de la géographie de la vraie vie, qui avait si fréquemment été cherché pendant plus d'un siècle, surtout à partir de la poésie moderne s'auto-détruisant... Mais jamais également cette cause n'avait subi une déroute si complète, et n'avait laissé le champ de bataille si vide, qu'au moment où nous sommes venus nous y ranger".
  5. Staline, aperçu historique du bolchévisme, Plon, 1935 (rééditions Champ libre 1977 et 1985, Ivrea 1992).
  6. En 1952, un commando lettriste, lors d'un passage à Paris de Charlie Chaplin, diffuse un tract : «Vous êtes, Chaplin, l'escroc aux sentiments, le maître chanteur de la souffrance (…) Allez vous coucher, fasciste larvé (…), mourez vite, nous vous ferons des obsèques de première classe. Les feux de la rampe ont fait fondre le fard du soi-disant mime génial et on ne voit plus qu'un vieillard sinistre et intéressé. Go home, Mister Chaplin.» Le désaveu de ce texte par Isou entraînera la scission de Guy Debord qui créera l'Internationale lettriste avant de fonder L'Internationale Situationniste. Voir toute la correspondance de l'«affaire» ici
  7. In Internationale situationniste, n°8, janvier 1963, page 19, éditions Arthème Fayard, page 315
  8. Potlatch n°1, 22 juin 1954, réédition Folio-Gallimard, Paris, 1996, p. 11)
  9. «Théorie de la dérive» Publié dans Les Lèvres nues n° 9, décembre 1956 et Internationale Situationniste n° 2, décembre 1958. Cf. Internationale Situationniste, Paris, Fayard, 1997, p. 51
  10. Lettre à Robert Estivals du 15 mars 63, In Correspondance, volume 2, Paris, Arthème Fayard, 2001, pp. 191-195.
  11. In Œuvres, Paris, Gallimard, coll. «Quarto», 2006, p. 309 ou, scindément, aux éditions Mille et une nuits, Paris, 2000.
  12. «Il faut reprendre l'étude du mouvement ouvrier classique d'une manière désabusée... Les succès apparents de ce mouvement sont ses échecs fondamentaux (le réformisme ou l'installation au pouvoir d'une bureaucratie étatique) et ses échecs (la Commune ou la révolte des Asturies) sont jusqu'ici ses succès ouverts, pour nous et pour l'avenir.» In Internationale situationniste n°7, "Notes éditoriales" (Les mauvais jours finiront), 1962, p. 11. Cf. aussi le texte du 18 mars 1962 (republié dans le numéro 12 de l'Internationale Situationniste, septembre 1969) "SUR LA COMMUNE" corédigé par Debord, Kotànyi et Vaneigem et disponible ici
  13. Cf. Internationale Situationniste, Paris, Fayard, 1997, pp. 703-704. http ://www. chez. com/debordiana/francais/hambourg. htm
  14. Disponible par exemple ici : http ://infokiosques. net/article. php3?id_article=374
  15. Version en ligne
  16. Daniel J. Boorstin, L'Image, ou ce qu'il advint du Rêve américain [«The Image : A Guide to Pseudo-Events in America, éd. Vintage Books»], éditions Julliard, coll. «10/18», Paris, 1961 (réimpr.  1971, éd. 10/18)  . Edition originale Penguin Books, Harmondsworth, Middlesex.
  17. Guy Debord, Correspondance, volume 5, Fayard, 2005, (pages 78 et 80)
  18. Guy Debord, Correspondance, volume 5, Fayard, 2005 (page 364)
  19. Guy Debord, Correspondance, volume 5, Fayard, 2005 (page 263)
  20. (en) Words and Bullets : The Condemned of the Lebovici Affair
  21. Réédition Gallimard, 1993, surtout les pages 42, 43, 56 et 57.
  22. Paris, Éditions Gérard Lebovici, 1988. Réédité avec la Préface à la quatrième édition italienne de «La Société du Spectacle» par Gallimard en 1992, puis par Folio-Gallimard en 1996.
  23. Paris, Champ Libre, 1979. Réédition : cf. note précédente
  24. Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord, Paris, 1998, p. 246-250 ; voir Jean-Pierre Baudet , Günther Anders. De l'anthropologie négative à la philosophie de la technique 1, 2005, Paris,
  25. «et on me reproche si un peu d'écrire comme La Rochefoucauld, Retz, ou quelquefois aussi comme Swift» in Cette Mauvaise Réputation, Paris, Folio-Gallimard, 1993, p. 73.
  26. Boris Donné, Pour Mémoires, 2004, p. 45-46.
  27. «Debord, un trésor», Libération, 16 février 2009.
  28. Lettres de Guy Debord à Anselm Jappe Dans Guy Debord, Correspondance, volume 7, janvier 1988-novembre 1994, Fayard, 2008. Le Magazine littéraire soulignait que «de l'ensemble des ouvrages parus sur les idées de Guy Debord, celui d'Anselm Jappe (qui vient d'être réédité) est à ce jour le plus intéressant» (Frédéric Martel, «Analyse d'une pensée "située"», Le Magazine Littéraire, n° 399, 1er juin 2001).
  29. Anselm Jappe, Guy Debord, Denoël, 2001, p. 17.
  30. Georg Lukács, Histoire et conscience de classe (1923), éditions de minuit (1960) page 109.
  31. Anselm Jappe, Guy Debord, éditions Sulliver/Via valeriano, 1998, page 197.
  32. Anselm Jappe, Guy Debord, éditions Sulliver/Via valeriano, 1998, page 197.
  33. In Internationale situationniste n°12, septembre 1969, page 48, éditions Arthème Fayard, page 616.
  34. Anselm Jappe, Guy Debord, éditions Sulliver/Via valeriano, 1998, page 197.
  35. Anselm Jappe cite, dans un autre de ses livres, Les Aventures de la marchandise (éditions Denoël, page 219), le penseur Hans-Jürgen Krahl, élève de Theodor W. Adorno, qui analyse dans Konstitution und Klassenkampf comment, à travers ce procès d'abstraction qui soumet la réalité entière, le capitalisme devient la métaphysique réalisée : «Chez Hegel, les hommes sont les marionnettes d'une conscience qui leur est supérieure. Mais selon Marx, la conscience est le prédicat et la propriété d'hommes vivants. [... ] L'existence d'une conscience métaphysique et supérieure aux hommes est une apparence, mais une apparence réelle : le capital. Le capital est la phénoménologie existante de l'esprit, il est la métaphysique réelle. Il est une apparence, parce qu'il n'a pas de véritable structure de chose, et néenmoins il domine les hommes»
  36. Karl Marx, Le Capital, livre II.
  37. La société du spectacle, chapitre IX, thèse 212.
  38. La société du spectacle, chapitre IX, thèse 213.
  39. Günther Anders, L'obsolescence de l'homme, (1956), éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, 2002, page 188.
  40. Günther Anders, L'obsolescence de l'homme, (1956), éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, 2002, page 224-225.
  41. Gérard Briche, " Le spectacle comme réalité et illusion ", Colloque Guy Debord 2007
  42. Frédéric Shiffter, Contre Debord, PUF, 2004, p. 16.
  43. «Guy Debord, l'irrécupérable», Le Monde diplomatique, août 2006.
  44. Postface de Giorgio Agamben à l'édition italienne en un volume de La Société du spectacle et des Commentaires sur la société du spectacle et deux lettres de Guy Debord à Giorgio Agamben.
  45. Documents du mouvement des occupations
  46. Alice Becker-Ho et Guy Debord, Le Jeu de la Guerre, Gallimard, 2006.
  47. http ://r-s-g. org/kriegspiel/ Accès à l'adaptation informatique du Jeu de la Guerre
  48. disponible en coffret 3 dvd : http ://www. guydebordcineaste. com/
  49. http ://www. ecrans. fr/Debord-Kriegspiel, 3636. html Le wargame de Guy Debord in situ par Sébastien Delahaye, Libération, 17 mars 2008.
  50. Guy Debord, Correspondance, volume 5, page 117, Fayard, 2005.

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