Entrisme

L'entrisme est une stratégie d'organisation qui consiste à faire entrer de manière concertée des membres d'une organisation dans une autre organisation aux idées proches, mais concurrentes.



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Organisation sociale - Trotskisme - Courant d'inspiration marxiste - Marxisme

L'entrisme est une stratégie d'organisation qui consiste à faire entrer de manière concertée des membres d'une organisation dans une autre organisation aux idées proches, mais concurrentes. Le terme entrisme est intrinsèquement lié à l'histoire du léninisme et du trotskysme, mais est aussi employé depuis lors pour décrire des pratiques du même ordre (infiltration, noyautage, etc. ).

L'objectif est d'influer sur l'orientation et la puissance d'un courant d'idées au sein de l'organisation ciblée, dans l'objectif de parvenir à infléchir la stratégie de la totalité de l'organisation. Il existe deux types d'entrisme : officiel (que Trotsky nomme «à drapeaux déployés») et clandestin. Il existe aussi l'entrisme organisé par une direction pour préserver son pouvoir ou se préserver d'une opposition.

Le recours à l'entrisme est envisagé quand le mouvement trotskyste se sent trop faible et trop peu influent face aux soubresauts de l'histoire ou, au contraire, face à l'apathie des masses ouvrières qui se tournent plutôt du côté des PC nationaux ou des partis sociaux-démocrates. Pour les trotskystes, l'unique voie pour donner une efficacité concrète à leurs idées reste alors de chercher à influer sur des mouvements moins radicaux, mais ayant un rôle réel dans la vie politique.

Il a par conséquent été recouru à l'entrisme pendant des périodes assez courtes, avant que le mouvement ne change une nouvelle fois de stratégie. De plus, son opportunité a fait débat au sein du mouvement, provoquant quelquefois des affrontements, ou alors des scissions.

Histoire

1934 : L'entrisme comme stratégie de court terme

La genèse de l'entrisme est à chercher dans le contexte complexe des années 1930, de la montée des totalitarismes (fascisme, nazisme et stalinisme), et de leur endiguement devenant un objectif prioritaire pour la majorité des gauches. L'époque est déroutante y compris pour le mouvement trotskyste. C'est ainsi que «les recommandations de Trotsky pendant les années 30 épousent au mois près les fluctuations d'une situation mouvante»[1]. La stratégie va par conséquent fluctuer, et l'entrisme correspond à l'une de ses orientations au cours de l'année 1934.

Cette année est en effet marquée par l'émergence de courants mettant en danger la social-démocratie. En Autriche, l'insurrection ouvrière est brutalement réprimée alors que les évènements du 6 février 1934[2] déstabilisent la république parlementaire en France. Face à cela, Trotsky décide de la création d'ailes gauches actives au sein des partis socialistes. Il rédige à Marceau Pivert, un socialiste de gauche : «Les Bolcheviques-léninistes se considèrent comme une fraction de l'Internationale qui se bâtit. Ils sont prêts à travailler la main dans la main avec les autres fractions réellement révolutionnaires»[3]. Trotsky se perçoit par conséquent à ce moment dans le même camp que la IIIe Internationale néenmoins dirigée par Staline et que l'aile gauche des PS, néenmoins accusés de manquer de vigueur révolutionnaire.

C'est ainsi que au cours de l'année 1934, l'entrisme «à drapeau déployé» - des partisans issus d'une organisation X se regroupent en «tendance», «courant» et tentent d'infléchir les orientations de la SFIO - se développe.

Malgré le refus de la vieille tradition d'influence de la franc-maçonnerie dont Trotsky écrivait qu'elle «est une plaie mauvaise sur le corps du communisme français. Il faut la brûler au fer rouge.»[4], en 1938, Trotsky, dans son pamphlet Leur morale et la notre, se rappelle :

«Je développai en 1935, dans des lettres à mes amis belges l'idée qu'un jeune parti révolutionnaire qui tenterait de créer «ses propres» syndicats irait au suicide. Il faut aller trouver les ouvriers à l'endroit où ils sont .
- Mais c'est cotiser pour l'entretien d'un appareil opportuniste ?
- Bien entendu, répondais-je, le droit de saper les réformistes, il faut le leur payer.
- Mais les réformistes ne nous permettront pas de faire contre eux un travail de sape ?
- Bien entendu, répondais-je toujours, le travail de sape exige quelques précautions conspiratives.»

1952 - 1953 : l'entrisme comme stratégie de long terme

Les années 1950 correspondent à une vague d'entrisme clandestin au sein des PC nationaux. L'époque correspond à une cristallisation de la guerre froide. Les trotskystes se sentent plus que jamais impuissants dans le jeu politique mondial. C'est tandis qu'une partie de leurs dirigeants sont tentés par cette stratégie, cette fois tournée vers les partis communistes alignées sur Moscou. C'est ainsi que Michel Pablo propose cette stratégie. Il constate que «La réalité sociale objective [... ] est composée principalement du régime capitaliste et du monde stalinien»[5]. Il en déduit que l'unique moyen pour les trotskystes d'influer réellement sur la vie politique et de tester l'efficacité de leurs théories est de se confronter aux travailleurs ainsi qu'aux partis qui les représentent. Il s'agit à l'époque des puissants partis communistes des pays occidentaux. Il précise que «cette intégration doit commencer par les organisations périphériques pour arriver jusqu'au parti communiste même»[6]. Selon Pablo, le militant doit «mettre particulièrement à l'arrière-plan sa qualité de trotskyste».
Il cite enfin les organisations visées.

Cette clandestinité répond au monolithisme aligné sur Moscou des PC de l'époque, mais également anticipe sur les ruptures radicales qui ne pourront manquer de se produire selon les trotskystes. C'est pourquoi Daniel Bensaïd parle d'un «entrisme spéculatif»[1]. Il apparaît que cette stratégie est l'unique moyen d'action d'un mouvement qui dénonce «L'usurpation du pouvoir par une bureaucratie privilégiée» en URSS[7].

Elle provoque cependant de nombreux antagonismes et sera l'une des causes du plus grave déchirement qu'ait connu la IVème Internationale depuis sa création. En effet, dès l'énoncé de ses thèses, Michel Pablo est critiqué. Marcel Bleibtreu, secrétaire du PCI, refuse cette stratégie. La rupture a lieu avec le congrès de juillet 1952. La majorité du PCI lambertiste refuse l'entrisme dans les organisations dites staliniennes. Ce dernier acte la stratégie d'entrisme, mais provoque de graves scissions.

De nombreuses personnalités du trotskisme telles que Félix Guattari, Denis Berger, Gabriel Cohn-Bendit, Lucien Sebag se montrent critique vis-à-vis de cette pratique.

Années 1960 - 1970 : l'entrisme lambertiste

Le terme entrisme a aussi été utilisé pour qualifier une toute autre pratique de noyautage de l'organisation communiste internationaliste (OCI) issu de la scission de 1952. Paradoxalement, c'est ce mouvement opposé à l'entrisme qui utilisera ces méthodes au cours des deux décennies suivantes.

Cette stratégie ne donne pas obligatoirement de résultat notable. A titre d'exemple, bien au contraire, Lionel Jospin, dont Edwy Plenel affirme[8] qu'il avait été infiltré de l'OCI au PS, aurait progressivement renoncé à ses idéaux de jeunesse en adhérant au PS, tout en cumulant ses remises de rapports à Lambert et ses responsabilités politiques socialistes.

Motivations

Les motivations qui amènent à pratiquer l'entrisme sont de deux ordres :

Cette pratique est le plus fréquemment reprochée aux organisations minoritaires. Ainsi, on ne qualifie pas généralement d'entrisme la double appartenance à un parti politique ainsi qu'à une direction syndicale, au Parti socialiste ainsi qu'à la direction d'un syndicat de la CFDT, par exemple.

Références

  1. Daniel Bensaïd, Les Trotskysmes, PUF, coll. «Que sais-je ?», 2002.
  2. Trotsky note alors : «Le 6 février, quelques milliers de fascistes et de royalistes, armés de révolvers, de matraques et de rasoirs, ont imposé au pays le réactionnaire gouvernement Doumergue, sous la protection duquel les bandes fascistes continuent à grandir ainsi qu'à s'armer. Que nous prépare demain ?» (Où va la France ?, 1934)
  3. Lettre de 1934.
  4. «Communisme et franc-maçonnerie», Cahiers Communistes, 25 novembre 1922.
  5. Article «Où allons nous ?», revue Quatrième Internationale, février-avril 1951.
  6. Rapport de février 1952 cité par Jean Jacques Marie dans Le Trotskysme et les trotskystes, Armand Colin, 2002.
  7. La dialectique de la révolution mondiale, commission paritaire préparatoire au VIIe congrès mondial de 1963.
  8. Edwy Plenel, Secrets de jeunesse, Paris, Stock, 2001.

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